On en entend parler de plus en plus souvent. Pourquoi, comment "éduquer" aux médias ?

“Société. « La surabondance de l’information, non digérée, non vérifiée, rendue accessible instantanément, rend encore plus urgente la nécessité d’une éducation aux médias. »
Porter à la connaissance d’un public élargi des faits qui n’auraient naguère circulé qu’entre spécialistes n’est pas un phénomène nouveau. […] Cette circulation entre les sphères scientifique, médiatique et politique, que la pandémie semble avoir accélérée, n’est pas un problème en soi, à ceci près que la réponse à la question « qui dit vrai ? » n’a pas le même sens dans ces différentes sphères.
Si nous ne sommes pas entrés collectivement dans une « ère de post-vérité », comme on l’entend trop souvent, nous sommes assurément dans une époque de « mal-information », qui résulte, plus que de son abondance, d’un enchevêtrement des récits répondant à des régimes de vérité différents.
À la question « y a-t-il des vérités établies ? », Nathalie, professeure de philosophie interprétée par Isabelle Huppert dans le film L’Avenir, répond à ses étudiants qu’il en existe évidemment et qu’elles sont établies par le temps.
La dimension temporelle est essentielle, mais il manque dans ce dialogue les réponses à au moins deux questions : « par qui ? » et « comment ? »
Introduire de la contingence dans l’établissement des vérités ne revient pas à les relativiser irrévocablement, mais à affirmer qu’est vrai ce qui est considéré comme tel par une majorité d’acteurs d’une sphère donnée.
Cette assertion est valable y compris dans la sphère scientifique, dans laquelle il n’y a pas de vérité éternelle, mais établie sur un temps long par les pairs et selon des méthodes propres à chaque discipline. Tous les scientifiques le savent, mais le « grand public » le découvre avec effarement.
À tout mettre sur le même plan, l’enchevêtrement des récits qui en résulte aboutit le plus souvent à une cacophonie, dont l’échappatoire peut sembler résider dans la recherche d’un indice de popularité, comme nous y ont habitués les géants du Web – Google en premier lieu – pour qui un clic équivaut à un vote.
Dans ce régime où l’autorité et la popularité se confondent, un récit est plus vrai qu’un autre s’il est plus populaire qu’un autre. Quand on ne sait plus où est la vérité, alors pourquoi ne pas choisir le récit le plus facile à comprendre et à répandre, le plus conforme à ses préjugés, celui qui demande le moins d’efforts, ne nécessite pas de remise en cause de ses schémas préconçus, quand il n’alimente pas une tentation nihiliste, voire complotiste ?
Il n’y a pas de solution miracle à espérer, même si le bon sens voudrait que chacun, scientifique, politique, journaliste, reste à sa place.
Dans ce trio, il faudrait certainement mettre en avant le rôle de passeur joué par le journaliste scientifique : il peut d’ailleurs être expert dans son domaine, mais il dispose plutôt d’une culture généraliste lui permettant de comprendre les enjeux techniques complexes tout en étant en mesure de pratiquer le journalisme.
Les politiques se doivent, eux, de prendre les meilleures décisions possibles au vu des arguments experts et de la perception qu’ils se font de l’intérêt général, sans se cacher derrière l’expertise.
Mais ces préalables ne régleraient pas pour autant la question de la surabondance de l’information, non digérée, non vérifiée, rendue accessible instantanément, etc.On mesure ici l’importance et l’urgence d’une éducation aux médias et à l’information (ÉMI) que tout le monde appelle de ses vœux, mais qui peine encore en France à trouver sa place, à l’école et en dehors. […]
Vastes chantiers dira-t-on, mais il n’est pas trop tard pour s’y atteler, collectivement.”
Source : ouest-france.fr, “De l’urgence d’une éducation aux médias”, publié le 15/4/21. https://www.ouest-france.fr/medias/ouest-france/courrier-des-lecteurs/de-lurgence-dune-education-aux-medias-526851fa-6387-4cfd-9c45-bae2d1a628b3